Pourquoi regarder le film Coup de tête avec Patrick Dewaere

Lorsque le football s’invite au cinéma, ce n’est pas toujours pour nous pondre des films tels que « 3 Zéros » de Fabien Onteniente ou encore « Les Collègues » de Phillipe Dajoux. Non parfois, la rencontre entre foot et septième art accouche d’œuvres cinématographiques tels que la satire sociale « Coup de tête » de Jean-Jacques Annaud. Ce second long-métrage de J.J Annaud, datant de 1979, propose une des rares une mise en scène en France ayant cadre le monde du football. Ce film dresse un portrait peu reluisant d’un football de province mais aussi plus globalement d’une société provinciale dominée par des notables cyniques. Aujourd’hui, le Phénix United avait envie de revenir avec vous sur le film Coup de tête. Notre secret espoir? Vous donnez envie de découvrir ou de redécouvrir l’immense Patrick Dewaere.

 

Le synopsis du film Coup de tête

Affiche film coup de têteDans la petite bourgade de Trincamp où tout est football, François Perrin est joueur de l’équipe réserve locale. Lors d’un entraînement, il est pris dans un choc avec Berthier, le joueur vedette du club, qui tombe. Bien que Berthier n’ait rien, cet incident vaut à Perrin d’abord l’exclusion de l’équipe, puis de l’usine, dont Sivardière le patron est aussi le président du club. Il est d’abord pris en grippe par une grande partie de la population pour avoir manquer de blesser Berthier à quelques jours d’un match très important. Puis il se retrouve accusé d’un viol qu’il n’a pas commis. Cette accusation agrémenté de faux témoignages est, en fait, l’œuvre des notables locaux. Le but de la manœuvre est de sauver de la prison le vrai coupable : Le fameux Berthier !

Toutefois, alors qu’il est en prison en attente de son procès, l’équipe a besoin de lui. Après l’accident du bus de Trincamp, le club subit une cascade de blessés au sein de l’effectif l. Les notables réussissent à lui obtenir une permission exceptionnelle. Perrin peut alors participer à la rencontre. Le paria devient la vedette locale en offrant la qualification à son club. Désormais intouchable et surtout écœuré par cette injustice et ce retournement de veste très opportuniste, il décide de jouer de son nouveau statut pour engager une vengeance à l’encontre de ceux qui ont injustement tentés de causer sa perte.

 

La production et le casting du film Coup de tête

Patrick DewaereEn 1979, cette comédie satirique sort en salle dans un anonymat relatif. Jean Jacques Annaud avait certes reçu l’Oscar de meilleur film étranger en 1977 avec « La victoire en chantant » mais ce film n’a pas rencontré son public. Annaud n’était pas encore Annaud et n’avait pas encore réalisé « La Guerre du Feu », « Au nom de la rose », « Deux frères » «L’amant » ou encore « Sept ans au Tibet ». Et pour couronner le tout, Patrick Dewaere, accusé d’avoir frappé un journaliste, fut blacklisté par une partie des journalistes. De toute façon Dewaere détestait le « jeu de la promo » ! Au box-office cela fera un peu moins d’un million de spectateurs. Pourtant au scénario, il y avait Francis Veber qui a multiplié les succès avant et après ce film. Petit mot musique, la bande originale a été composé par Pierre Bachelet que les supporters lensois connaissent bien.

Ce film est devenu culte bien plus tard auprès des « footeux », mais aussi auprès de bon nombre de cinéphiles. Cela s’explique déjà par l’immense travail de recherche de Jean Jacques Annaud et de Francis Veber pour s’imprégner du monde du football. Le duo passe notamment beaucoup de temps au sein de clubs de province. Ensuite, que dire du casting ? Pour incarner François Perrin, Jean-Jacques Annaud choisi Patrick Dewaere. Le reste de la distribution est loin d’être dégueulasse non plus! Jean Bouise en président du club de Trincamp est excellent, Gérard Hernandez n’est pas mal non plus en inspecteur de police. Bref, au-delà de la performance prodigieuse de Dewaere, l’ensemble de celles des seconds rôles rend le film d’autant plus fort.

 

Ce que le film Coup de tête dit du football

La ville de Trincamp inspirée de celle de Guingamp

trincamp vestiairesJean-Jacques Annaud a eu l’idée de ce film en suivant l’épopée de l’En Avant de Guingamp en Coupe de France lors de la saison 1972-1973. L’En Avant de Guingamp évolue alors à l’époque en division supérieure régionale (DSR), l’équivalent de la 7e division. Ils ont un leur tête un jeune président de trente et un ans : un certain Noël Flantier…à moins que ce ne soit Noël Le Graët. Oui ! C’est cela ! Noël Le Graë!t Je confonds toujours les deux…

 

A l’époque, le club est encore inconnu du grand public. Cependant il connait alors son premier fait de gloire. En effet, les journalistes nationaux débarquent dans ce petit coin de Bretagne pour relater les exploits de la bande d’Yvon Schmitt et de Sylvestre Salvi l’entraîneur-joueur de l’époque. Après avoir éliminé le stade Charles de Bois, Louannec, Lamballe, et surtout Laval, Brest, Le Mans, puis Lorient (quatre équipes de deuxième division), la belle aventure guingampaise s’arrête en 8e de finale, face à Rouen. Cependant Guingamp s’était fait un nom sur la carte du football Français et une place dans l’histoire du film Coup de tête avec le nom de Trincamp directement inspiré de celui de Guingamp.

L’œil de Guy Roux sur le tournage

Guy roux1979 coupe de France

Trincamp est inspiré de Guingamp mais le tournage aura lieu à Auxerre. L’AJA n’a pas encore connu la D1 cependant Guy Roux est déjà là. Il sera même nommé conseiller technique sur le film (Il est d’ailleurs crédité au générique). L’iconique entraîneur d’Auxerre –passionné de cinéma- permet même de tourné dans les installations du club et de filmer des séquences lors d’un derby entre Auxerre et Troyes. Un petit coup de pub « Made in Guy Roux » pour son club qui n’en aura sans soute pas besoin puisque, quelque mois après la sortie du film, Auxerre atteint la finale de Coupe de France (perdue en prolongation face au FC Nantes). Une première pour un club de D2 depuis 1959 ! Pour la petite histoire, il se dit même que dans les vestiaires de l’AJ Auxerre, les joueurs chantaient l’hymne de Trincamp.

Un film avec de vrais joueurs et…Patrick Dewaere…

entrée sur terrain coup de teteDans Coup de tête, la rencontre entre Trincamp et l’USTT est donc en réalité tourné avec de vrais joueurs lors du match AJA-Troyes. Seuls Berthier et Perrin ont été ajouté au montage à l’aide de plans serrés. Pour le film, Dewaere refuse d’être doublé bien qu’un footballeur professionnel soit engagé pour les scènes de matchs. Il préfère être entraîné trois fois par semaine. Cependant, malgré ses efforts, il sera finalement doublé par un footballeur de l’AJA dans la plupart des scènes de match.

De l’aveu même de Guy Roux son niveau était trop faible. Pour preuve la scène du premier but de Perrin conservée par Jean-Jacques Annaud parce que Roux estima qu’il est impossible de la réussir une seconde fois. A l’AJA on se souvient encore du niveau footbalistique de Patrick Dewaere. Guy Roux se souvient « Je me revois en train de beugler mes conseils à Dewaere là-bas, en retrait des buts… ». Tandis que Lucien Denis sa doublure avoue « Je n’ai jamais vu un mec aussi nul. C’était à peine croyable. Quand il tirait, on avait peur qu’il se casse la jambe. Il ratait tout, il tombait, il s’énervait ».

Cela n’empêcha pas les joueurs et Guy Roux d’avoir une affection particulière pour un Patrick Dewaere un peu à la dérive malgré l’arrêt de l’héroïne. Guy Roux raconte même  « Moi, sur les jeunes, on me la fait pas. J’avais bien vu que Patrick Dewaere, un gentil gars au demeurant, était à la rue. À l’époque, il avait une copine louche qui ne faisait pas du tout la maille. J’ai demandé à mes joueurs de l’inviter à tour de rôle. Ils étaient tous amateurs. Ça lui a bien plu. »   

Une approche sociologique du football de province

notables trincampDans Coup de tête, Jean-Jacques Annaud dépeint Trincamp est comme une sorte de système féodal où règne en maître absolu le président du club local, qui est également le patron de l’usine du coin. Autour de lui s’agite un petit monde unifié par le football. Les dirigeants des clubs amateurs accusent le réalisateur d’avoir singé leur football. En Bourgogne, on apprécie d’ailleurs moyennement le film. Faut dire que « le président Hamel était garagiste, Aubin vendait de l’électroménager, il y avait aussi le marchand de meubles. Quel scandale ! J’ai dit à Annaud de s’abstenir de venir à la première. Et la femme du président Hamel, qu’est-ce qu’elle a pu se faire chambrer ! » raconte un Guy Roux amusé.

 

Bien entendu, Annaud a grossi un peu le trait dans son portrait au vitriol du football de l’époque. Cependant Annaud jure avoir assisté à aux situations du film telles que les manifestations excessives de joie des habitants du village après la victoire ou  encore les promesses des commerçants locaux faîtes aux joueur à la mi-temps d’un match décisif. Oui dans le football aussi ce n’était pas mieux avant ! Les pots-de-vin, les passe-droits et autre emplois fictifs existaient déjà. Personnellement, j’aime également beaucoup la façon qu’à J.J.Annaud de décrire la versatilité des supporters.

 

Ce que le film « Coup de tête » dit de la société

Si vous comptez convaincre une personne réfractaire au football de regarder ce film avec vous, dites lui que Coup de tête n’est pas qu’un film sur le foot. Certes le décor reste la France des supporters et sa franchouillardise dans une petite ville de province. Cette dernière représente un cadre physique et social trop étroit pour un Perrin. La ville de Trincamp symbolise ainsi une véritable claustration physique et mentale.

Vedettariat et versatilité des masses

Mais c’est également une comédie satirique sur le vedettariat et de comment le succès change le regard des gens. Jean-Jacques Annaud décrit dans ce film la versatilité des masses, capable aussi bien de honnir un homme qui ne se soumet pas aux règles sociales que de l’acclamer quand il devient un « héros ».

Une certain vision de la lutte de classes

L’autre portée sociale du film réside dans la restitution de la lutte des classes. Celle-ci se jouant entre une « petite bourgeoisie » manipulant dans l’ombre un loisir, et un prolétariat peu conscient de la misère de sa situation et dont l’attention serait accaparée par des plaisirs simples : la boisson… et le football. Ce dernier n’étant finalement qu’un moyen de contrôle : un véritable opium du peuple. La fameuse phrase prononcée par Sivardièrele patron et président du club retranscrit parfaitement ce schéma : « J’entretiens onze imbéciles pour en calmer 800 qui n’attendent qu’une occasion de s’agiter ».

lutte des classes coup de tete

La vengeance de François Perrin vient faire exploser cette « paix sociale » qui ne sert que les intérêts des notables locaux. Elle va renverser le rapport de force, Perrin se servant de son statut de nouvelle star pour humilier ces pontes et leurs mesquineries.

Egalement un film sur la médiocrité, la lâcheté et la sottise

En fin de film, lorsque Perrin se venge, il se rabaisse au niveau de la médiocrité des notables. Cependant pour davantage mettre en lumière leurs médiocrités de ces derniers, Perrin agit de sorte de laisser ses ennemis en situation de frustration de vengeance, à la fois désemparés et insatisfaits. Et c’est là toute la force de la fin du film et le fait que le spectateur conserve sa sympathie et son empathie à l’égard de François Perrin

 

L’interprétation de Patrick Dewaere dans Coup de tête

Ne nous le cachons pas, j’ai de la sympathie pour Patrick Dewaere en tant que personne et de l’admiration pour lui en tant qu’acteur. Avec cet acteur j’ai ce sentiment unique d’avoir perdu quelque chose sans jamais l’avoir connu.

film coup de tete Patrick Dewaere

Dans Coup de tête, sa performance d’acteur est magistrale. Il interprète un Francis Perrin épris d’une violente soif de justice. Une performance, une nouvelle fois, à fleur de peau d’un des meilleurs acteurs de l’histoire du cinéma français. Ce film est un parfait exemple du charisme naturel et du magnétisme de Patrick Dewaere. Si je ne devais retenir qu’une scène de sa performance dans ce film, ce serait sans doute celle du repas. Une scène d’anthologie où Dewaere souffle le chaud et le froid, avec une intensité dramatique incroyable.

Dewaere possédait également une capacité de fusion hors norme avec son personnage. De ses propres dires, il refusait de « faire semblant », et vivait littéralement les émotions de son personnage. Ainsi, son jeu peut se caractériser par un naturel, une exactitude et une vérité dans les expressions. Dewaere met en place dans son jeu une véritable chorégraphie corporelle, jouant sur le tempo dans une maitrise gestuelle originale. Bref, si vous aimez ce type d’interprétation, je ne peux que vous conseiller de vous jeter sur Les Valseuses, Série Noire, Préparez vos mouchoirs, Le juge Fayard dit le shérif, ou encore Adieu Poulet.

 

Quel écho aujourd’hui pour ce film ?

Plus de quarante ans après sa sortie, il est presque logique de nous demander si le film Coup de tête est toujours d’actualité ? En quarante ans, beaucoup de choses ont changé dans le monde du football et dans la société en général.

Au sein du football actuel

film coup de tete gerard hernandezLa première question que me vient à l’esprit est un tel portrait au vitriol du petit monde du football est-il toujours d’actualité ?  Lorsqu’on voit à la fois se multiplier les affaires (Qatargate, Platini, Blatter, paris sportifs…), et l’argent prendre une place de plus en plus importante, on peut avoir la faiblesse de croire que –au mieux- rien n’a changé. De plus, le lien entre ce sport de masse et ses supporters semble toujours fort. A chaque grand rendez-vous, à chaque « grande victoire » des scènes de liesses sont observables. Le besoin de vivre des émotions ensemble restent totalement d’actualité.  Face à ce constat, inutile de se voiler la face. Le football reste un outil politique et d’influence pour les élites.

Au sein de la société actuelle

Soyons clair, je ne suis pas de ceux qui dénoncent et qui jugent un film datant de plus de 40 ans avec des yeux de 2020. Cependant, il un existe un aspect de Coup de tête qui peut aujourd’hui heurter une partie de la société. En effet, le contexte #metoo, nous oblige à nous interroger. A l’heure où, la reconnaissance des victimes de viol est encore un véritable combat, la façon dont le film Coup de tête aborde les agressions sexuelles peut heurter. En écrivant ces lignes, je pense principalement à la scène où François Perrin s’introduit chez Stéphanie pour tenter de violer sa prétendue victime. Personnellement, je trouve ce film « cohérent » avec son époque. Et je le prends ainsi ! Il porte en lui la réalité des années 70, sa structure encore patriarcale et de ses violences sexistes et sexuelles. Pour moi, ce film est témoin et non coupable. Bref…je vous laisse juge…

coup de tete critique sociale

Enfin, cette comédie grinçante trouve également un autre écho au sein de la société actuelle. Le film Coup de tête aborde de façon cynique, combien la société est versatile et se fit majoritairement à notre image sociale. Notre société étant plus que jamais une société de l’image, l’histoire de François Perrin peut prendre racine encore aujourd’hui.

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