Les œuvres ne se rencontrent pas seulement au musée, le sport peut également ouvrir une fenêtre vers  l’art. Le mondial de football de 1982 en Espagne en est une parfaite représentation. En effet, à l’occasion du « Mundial 82 », des artistes ont été conviés à prendre le pinceau afin de réaliser une galerie d’affiches incarnant les villes hôtes et le Mondial Espagnol. Revenons ensemble sur ces affiches de la Coupe du Monde 82 et ainsi  d’appréhender autrement le football.

 

Joan Miró et España : fer de lance des affiches de la Coupe du Monde 82

Commençons par l’affiche centrale du « Mundial 82 » qui fut réalisée par le célèbre peintre catalan Joan Miró. Avec son univers coloré et poétique, ce dernier tient une place singulière dans l’Histoire de l’art du 20e siècle. Il est reconnu pour son style ni abstrait ni figuratif. Il est également connu pour son trait calligraphique, mais aussi parce que ses travaux reflètent et témoignent de la montée du fascisme et la Seconde Guerre mondiale. Dans le contexte politique d’une Espagne post-franquiste, le fait que les instances du football espagnol choisissent Joan Miró était un choix fort ! Toutefois, Miró n’est pas un complet étranger du football lorsqu’il accepte de créer sa peinture « España ». En effet, il avait déjà peint l’affiche du 75eme anniversaire du FC Barcelone.

Sa lithographie España avec son soleil rouge, a marqué les esprits des amateurs de ballon rond. Cette affiche du mondial 82 reste iconique de la rencontre entre l’art, le sport et la société. Après quelques ajustements de Miró, l’office du tourisme espagnol en fera même son logo officiel. Mais ce qui fait de cette Coupe du Monde 82 un véritable pont vers l’art, c’est que les 12 villes hôtes aient également fait appel à des artistes de renom pour créer une affiche les représentant chacune.

 

Antonio Saura, Séville et sa foule: une des affiches de la Coupe du Monde 82

En tant que Français, nous ne pouvons débuter que par Séville. Le cauchemar de Séville en demi-finale contre la RFA a marqué toute une génération, et plus globalement le football français. Un souvenir aussi noir que l’univers de l’artiste choisi pour réaliser l’affiche de la ville pour ce « Mundial 82 ». Cet artiste est l’espagnol Antonio Saura. Saura est à la fois peintre et écrivain, voyageant du surréalisme à l’abstrait dans ses peintures. Il propose tout au long de sa carrière, une palette sombre pour laquelle il a largement eu recours à l’estampe.

Cette affiche du Mondial 82 peut être rattachée à sa thématique des foules. Ses foules sont des agglomérats, des communautés dont les membres n’ont d’autre relation que celle de la conscience d’un sentiment collectif et de l’appartenance à un projet commun. Un parfait résumé d’une foule de supporters. Outre cette affiche, il est aussi intéressant de savoir qu’Antonio Saura a également fait une affiche pour le tournoi de Roland-Garros en 1997. Il réalisera également une série sur les sportifs qui met en avant le mouvement du corps.

 

Le portier de Madrid d’Eduardo Arroyo

Seconde affiche au sein de cette série consacrée à la Coupe du Monde 82 en Espagne : Celle de Madrid. Le stade Santiago Bernabéu, l’antre du Real Madrid fut le cadre de la finale Italie-RFA (3-1). L’affiche a été réalisée par l’espagnol Eduardo Arroyo. La peinture de ce dernier est la figuration narrative. Elle se caractérise par une absence de profondeur et de larges aplats qui se substituent au décor. En exil une partie de sa vie, ses tableaux traitent de l’exil, des assassinats politiques, des complicités dont bénéficie le régime de Franco.

Après avoir réalisé l’affiche de Roland-Garros en 1981, il reste dans l’univers du sport avec la conception de cette affiche pour la Coupe du Monde 82. Au vu du titre de l’œuvre « le portier », et de la casquette de l’homme il semble que ce soit un gardien de but. Concernant l’identité de l’homme de dos, certains évoquent le nom de Ricardo Zamora, gardien de l’Espagne dans les années 20-30. Ce dernier considéré comme l’un des plus grands gardiens de l’histoire avait ce type de casquette sur la tête durant les rencontres en équipe nationale et du Real Madrid.

 

Valerio Adami, Valence et les ailes de la colombe

L’affiche de la ville de Valence est une lithographie réalisée par Valerio Adami. Cet italien est l’un des artistes les plus importants aujourd’hui avec Dali, Miró, Picasso, Warhol, Lichtenstein, Chagall et d’autres. Cette affiche de la Coupe du Monde 82 relève également partie du mouvement de la figuration narrative. Son rapport au temps et à la mémoire – l’histoire et la culture – semble constituer la thématique essentielle de ses  œuvres toujours riches de sens.

Concernant la lecture de l’affiche Valence 1982, elle présente des éléments jaune et rouge rappelant les couleurs de l’Espagne ainsi que la Communauté de Valence. Au centre de l’œuvre, un ballon déploie ses ailes. Il semble que ce soit les ailes d’une colombe symbole de paix, comme l’a travaillé également Picasso. D’autres y voient celles d’une chauve-souris, symbole de la ville de Valence.

 

Titus-Carmel et ses filets de Gijón

Pour ce Mondial 82 de football, cette affiche lithographique, représentant la ville hôte de Gijón, est signée par Gérard Titus-Carmel. Ce dernier est un peintre, graveur, poète et dessinateur français. Ce dessinateur doué d’une très grande précision dans le trait ne cessera de jouer un rôle des plus actifs dans le courant général de l’art conceptuel. Procédant toujours par séries autour d’un objet ou d’un thème comme les petits coffrets ou les nœuds.

Alors qu’il revient à la peinture dans les années 1980, dans un style à tendance abstraite, il fera néanmoins une des affiches de la Coupe du Monde 82. Elle représente les mailles d’un filet qui ne semble demander qu’à trembler. Le motif du nœud et le phénomène d’usure longtemps présents dans son travail sont à nouveau à l’œuvre ici. Cependant Titus-Carmel évoque dans son œuvre le but suprême à atteindre par les joueurs de chaque équipe. Enfin, pour la (très) petite histoire, le président du Phénix United a eu cette affiche encadrée dans son salon pendant un bon moment.

 

La Corogne et le Kaléidoscope d’Erró au sein des affiches de la coupe du monde 82

C’est sans doute notre préférée des affiches de la Coupe du Monde 82. Elle est l’œuvre de l’Islandais Guðmundur Guðmundsson, plus connu sous le pseudonyme d’Erró. C’est un artiste postmoderne et cofondateur du mouvement pictural de la Figuration narrative en France. Au début de sa carrière, il côtoie notamment Breton et Miro et plus globalement le mouvement surréaliste. Pour cet artiste pop, son œuvre globale constitue une critique sociale ou politique, de la société de consommation (Foodscape) ou l’absurdité de la guerre du Vietnam (Fishscape). Concernant son style, il est très coloré et se construit autour de la saturation de la surface du tableau. Dans ces all-over figuratifs, la superposition d’éléments réunis par un même thème rappelle un peu les portraits de fruits d’Arcimboldo.

Pour cette affiche officielle de la ville hôte de La Corogne, nommée Caleidoscopio de Erró, l’artiste a disposé côte à côte pas moins de 550 images de football. Dans cette assemblage, Erró y alterne images en couleur et images en noir et blanc. Devant cette lithographie, le spectateur est confronté à sa temporalité : temps de la contemplation, temps de la déambulation devant l’image et enfin le temps de la « digestion » de ces éléments. Cette toile, comme beaucoup de ses autres travaux, opère comme un immense filet dans lequel on se laisse prendre au piège par ces éléments de la culture foot.

 

Valladolid Vladimir Veličković et le mouvement

Valladolid et le stade José-Zorrilla furent le théâtre de la mémorable intervention sur le terrain du Cheikh Fahad Al-Ahmed Al-Jaber Al-Sabah. Ce dernier entra sur le terrain pour faire annuler un but de l’équipe de France lors de France-Koweit.  L’affiche de la Coupe du Monde 82 pour la ville de Valladolid est l’œuvre du yougoslave Vladimir Veličković. L’œuvre de ce peintre -appartenant également au mouvement de la figuration narrative- a la particularité de ne laisser personne indifférent. Vladimir Veličković exprime, par la peinture, la douleur et la violence de l’humanité. Son travail est emprunt de son histoire personnelle. Né en 1935 à Belgrade en Yougoslavie, l’artiste grandit au cœur des années les plus sombres de l’Histoire. Enfant, il est témoin des horreurs du régime nazi particulièrement sanglant dans cette partie du monde. Profondément marqué, il choisit alors l’art comme moyen d’expression.

Dans le même temps, les œuvres de Vladimir Veličković traduisent également un intérêt particulier pour le mouvement. C’est d’ailleurs ce thème qu’il mettra en avant dans l’affiche pour la ville de Valladolid. Comme dans nombre de ses travaux, techniquement d’une grande virtuosité expressionniste dans le traitement du corps de ces footballeurs, il utilise aussi sur cette toile une gamme chromatique réduite.  Cela en fait un des tableaux les plus sombres de cette série.

 

Alicante, Alechinsky et le dégradé

L’affiche de la ville d’Alicante fut réalisée par le graveur et peintre belge Pierre Alechinsky. Ce membre fondateur du mouvement artistique CoBrA mêle dans son œuvre l’expressionnisme et le surréalisme. Il devient un artiste majeur avec ce mouvement CoBrA qui est issu des villes natales de ses membres : Copenhague, Bruxelles et Amsterdam. Ce groupe se fonde sur le principe de base de la liberté de la couleur et de la forme dans l’art.

Dans l’œuvre d’Alechinsky, le spectateur rencontre des paysages à la fois remémorés et imaginés, tropicaux et civilisés, mais aussi des formes circulaires en suspension. Ces formes circulaires se retrouvent dans l’affiche qu’il réalise pour la ville d’Alicante et le stade José Rico Pérez. En effet, des traces de ballon semblent avoir frappé un mur en dégradé très tropical passant du vert au jaune.

 

Malaga et le coup de tête de Topor

L’affiche pour la ville hôte de Malaga a été réalisée par le français Roland Topor. Ce dernier est un artiste hors norme. A la fois dessinateur, écrivain, poète, metteur en scène, chansonnier ou encore peintre, Topor possède une œuvre foisonnante. Son nom ne vous est sans doute pas totalement inconnu. L’homme navigue dans un univers tour à tour fantastique, réaliste dans le trait, absurde, souvent sombre et grinçant. Il a participé à de nombreuses « aventures » qui sont entrées dans la culture populaire.  Topor travaille d’abord comme illustrateur pour le magazine satirique Hara-Kiri jusqu’en 1965. Ensuite, il réalise le film d’animation La planète sauvage avec René Laloux. Puis, en 1983, il crée avec Henri Xhonneux la célèbre émission télé « Téléchat ». Enfin, notons aussi qu’il réalisa en 1977 l’affiche « La liberté d’opinion est-elle mortelle » pour l’ONG Amnesty International. Et que dire de sa participation active à la célèbre série humoristique Palace !

Mais revenons à la Coupe du Monde 1982 en Espagne.  C’est au Topor dessinateur que l’on doit l’affiche pour Malaga. Son trait typique dresse une représentation d’un joueur de football qui met un coup de tête dans une coupe. Cette coupe possède en son haut une forme de ballon.

 

Les autres affiches de la Coupe du Monde 82

J’ai choisi d’être moins « complet » sur les autres affiches réalisées à l’occasion de ce Mundial 82. La raison ? Je dirais que ces œuvres artistiques m’ont moins interpellé. Bien entendu, cela n’en fait en aucun des tableaux moins intéressants ! Libre à vous d’aller creuser un peu sur ces artistes peintres si une de ces affiches vous touche plus que moi. J’en serais même heureux.

Saragosse, Folon et son aquarelle

L’affiche de la Coupe du Monde 82 pour la ville de Saragosse est signée Jean-Michel Folon. Le trait de cet artiste belge aquarelliste, peintre, graveur et sculpteur, rappellera sans doute quelque chose aux plus anciens d’entre vous. En effet, il est derrière les hommes volants du générique d’Antenne 2 entre 1975 et 1983.

 

Bilbao Eduardo Chillida et son poing

Cette œuvre destinée à la ville hôte de Bilbao durant le Mondial 82 a été dessinée par le sculpteur et graveur basque Eduardo Chillida Juantegui. Avant d’être artiste, Eduardo Chillida fut gardien de but de la Real Sociedad. Une blessure l’obligea à mettre un terme à sa carrière. C’est sans doute une des raisons qui ont poussé Eduardo Chillida à représenter le poing d’un gardien de but allant à la rencontre d’un ballon composé par plusieurs « Bilbao 82 ». Une seconde interprétation peut être faite de ce poing. Cette affiche épurée et ce poing tendu peuvent également être le symbole de la lutte pour l’indépendance du Pays-Basque.

Oviedo, Pol Bury et ses neuf footballeurs

C’est sans doute, l’affiche de la Coupe du Monde 82 qui me transporte le moins. Cette affiche de la Coupe du Monde 82 est l’œuvre du belge Pol Bury. Ce dernier fut un artiste multiple. Il s’adonna au dessin, à la peinture, à la sculpture, à l’écriture, à la création de bijoux, à la construction de fontaines, ou encore à la réalisation de plusieurs courts métrages expérimentaux. Mais ce sont surtout ses reliefs et ses sculptures cinétiques qui ont donné à l’artiste sa place dans l’histoire de l’art.

Pour ce mondial 82, Pol Bury le peintre réalise une toile représentant neuf footballeurs. Ces footballeurs portent des maillots de couleurs différentes et effectuant tous le même extérieur du droit.

Barcelone, Tàpies et son journal

La ville de Barcelone a accueilli le Mondial 82 dans deux de ses stades : Le Camp Nou et  Sarrià (ancien stade de l’Espanyol Barcelone détruit en 1997). C’est le Catalan Antoni Tàpies i Puig qui a été choisi pour réaliser l’affiche de cette ville. C’est un artiste espagnol qui possède une œuvre globale qui témoigne de sa grande fascination pour la matière, les traits, les tâches, et les griffures.

La toile que Tapies a crée pour la Coupe du Monde 1982 possède des vrais liens de parenté avec « l’Alphabet ! » de Paul Klee réalisé en 1938. Les similitudes sont nombreuses tant sur le fond en papier journal que sur les coups de pinceaux de couleur noire.

Vigo, Monory et sa sortie du monochrome

Cette affiche de la Coupe du Monde 82 pour la ville hôte de Vigo fut réalisée par Jacques Monory. Ce dernier est un des principaux représentants du mouvement de la Figuration narrative, le même mouvement que les peintres Eduardo Arroyo, Erró et Valerio Adami que nous avons déjà vu dans cet article.

Pour la réalisation de cette affiche Jacques Monory sort de son univers fait de monochromie, de camaïeu de bleu et finalement assez froid. Ici l’artiste a fait appel à des teintes plus chaudes pour évoquer l’Espagne et le football.

Les affiches de la Coupe du Monde 82: celle d’Elche et de l’artiste Kolar

Pour cette dernière affiche, c’est la ville hôte d’Elche qui est représentée. Elle est l’œuvre de l’artiste tchèque Jiří Kolář. Cet anti-communiste fit de la prison dans son pays en 1953, puis connut l’exil à Paris. Kolář s’exprime tant par écrit (poésie, manifestes, traductions) que dans les arts visuels, en se spécialisant dans l’art du collage.

Cette affiche de la Coupe du Monde 82 est l’assemblage du tableau « les joueurs de football » du douanier Rousseau avec une représentation du buste de la dame d’Elche.